Michel AGLIETTA

Principalement connu  pour  son  apport au sein de la théorie  de la régulation, dont il est un des fondateurs par son ouvrage « Régulation et crises du capitalisme »(1976),  Michel  Aglietta couvre un vaste champs d’études. On retiendra sa critique de la  construction  Walrasienne  (avec A.Orléans, 1986), ses études  sur  la  monnaie ( « Régimes  monétaires, monnaie supranationale , monnaie commune » 1988),  et  son travail sur la  finance (« Macro-économie financière » 1995). Les développements théoriques récents, dans des domaines tels que les asymétries d’informations entre agents économiques, ou les théories  de l’innovation et de la diffusion des technologies, insistent sur les dynamiques d’incitation et de coordination entre agents.

« Le crédit est une relation qui est, par nature, soumise à l’information asymétrique : l’objet de la transaction n’étant pas une valeur réelle disponible mais une promesse, l’une des contreparties ne connaît pas assez bien les caractéristiques de l’autre pour prendre les décisions adéquates. Cette asymétrie se manifeste avant et après la transaction sous la forme d’échecs de la coordination marchande. Avant, c’est l’antisélection des emprunteurs par les prêteurs qui résulte d’une incapacité à discriminer les débiteurs potentiels par évaluation incorrecte des risques… Après la transaction, c’est l’aléa moral qui découle des marges de manoeuvre de l’emprunteur dans l’usage des fonds mis à sa disposition. » (« Macroéconomie financière »). Ces imperfections permettent de fonder micro-économiquement les bases d’une nouvelle macro-économie, dont M.Aglietta a particulièrement développé le volet financier.
    En effet, ce sont ces mêmes imperfections qui expliquent l’intermédiation financière, c’est-à-dire l’existence des banques et des marchés financiers organisés. Dans « Macro-économie financière », M.Aglietta avance l’hypothèse que les institutions financières, les circuits et les structures de financement exercent une influence déterminante sur les performances réelles des économies.

Son dernier ouvrage :

Michel Aglietta, Pepita Ould Ahmed, Jean-François Ponsot, La monnaie. Entre dettes et souveraineté, Paris, Éditions Odile Jacob, 2016, 458 p., ISBN : 9782738133830.

1 Étrange impression au moment de refermer le livre de Michel Aglietta… Le premier sentiment est celui du plaisir d’avoir lu cette synthèse claire et accessible de ses réflexions et travaux sur la monnaie. Une analyse qui relève avant tout d’une véritable démarche d’économie politique : reposant sur des concepts rigoureux, ouverte aux autres sciences sociales et ancrée dans la réalité des sociétés étudiées. La monnaie entre dettes et souveraineté constitue en effet une véritable « somme » qui reprend et prolonge des travaux désormais classiques, publiés ou dirigés par l’économiste avec André Orléan, depuis 1982, sur les questions d’économie monétaire et financière et leur impact sur les dynamiques socio-historiques. Le second sentiment qui peut alors toucher le lecteur est celui de l’inquiétude : qui pourrait aujourd’hui encore porter un tel discours (largement hétérodoxe par rapport au corpus de base de l’économie) et le défendre épistémologiquement ?

2 La parution de ce livre en 2016 marque l’anniversaire d’un courant de pensée que Michel Aglietta a largement contribué à faire connaître, a parfois incarné (avant de prendre une certaine distance) : la théorie de la Régulation. En publiant en 1976 Régulation et crises du capitalisme, l’auteur se démarquait déjà de l’analyse économique traditionnelle en puisant dans l’histoire– sans se démarquer des outils analytiques formalisés – pour montrer que l’économie est une science sociale. Avec d’autres grandes plumes (Robert Boyer, Alain Lipietz par exemple) ces auteurs allaient nourrir une tradition intellectuelle aux références théoriques audacieuses (Keynes et Marx), soucieuse de pouvoir appliquer ses modèles aux problèmes sociaux concrets (inflation, conflits de répartition, environnement…).

3 La monnaie entre dettes et souveraineté est un ouvrage fidèle à cette démarche qui propose en quatre parties logiques de montrer que pour comprendre l’importance de la monnaie sur les sociétés il faut analyser la manière dont la puissance souveraine (l’État en particulier) et les intérêts particuliers (mondes du commerce ou de la finance) s’en emparent. La monnaie est bien plus qu’un simple outil technique facilitant la réalisation des mécanismes de marché, elle est la garantie des engagements temporels des acteurs sociaux (dettes ou patrimoine). Elle est aussi un objet de désir, car celui ou celle qui possède ou accumule la monnaie dispose de possibilités d’action inédites. Ainsi, les économies, et ceci depuis l’Antiquité, doivent essayer de garantir la liquidité de la monnaie et la confiance dans sa valeur.

4 En étudiant successivement « la monnaie comme rapport d’appartenance sociale », les « trajectoires historiques de la monnaie », les crises monétaires (et modes de régulation inventés pour y faire face), puis enfin « l’énigme de la monnaie internationale », Michel Aglietta et ses deux collaborateurs emmènent le lecteur dans un voyage à travers le temps et l’espace. La place de la monnaie, son utilité sociale et économique y sont questionnées dans l’Antiquité, au Moyen-Âge ou dans les sociétés contemporaines, sur la base de travaux historiques, anthropologiques, des sciences politiques comme économiques. Il n’en ressort pas de certitudes, pas de lois économiques mais des arrangements sociaux pour faire face aux crises. Ainsi la création des Banques Centrales chargées d’émettre la monnaie et de contrôler le système bancaire est une lente construction historique, différente de pays à pays. L’évolution du système monétaire international est, elle aussi, marquée par l’absence d’une structuration idéal-typique puisque chaque période ne fait que consacrer la domination d’une monnaie souveraine sur un espace. À cet égard les développements sur « les espoirs et désillusions de l’euro » sont très intéressants tant ils illustrent les conditions nécessaires pour qu’une monnaie remplisse ses fonctions sociales.

5 Ce livre permet donc à la fois de dresser un bilan de ce que peut produire l’économie politique et des défis qui restent à relever. Le bilan c’est bien sûr qu’il est irréaliste et dangereux de penser que la monnaie ou la finance soient les phénomènes décrits par l’économie traditionnelle (simple émanation ou conséquence de mécanismes de marchés concurrentiels). Pour garantir les échanges, pour communiquer, pour conserver le patrimoine, la monnaie doit être protégée et garantie par l’ordre politique et incarner une souveraineté qui s’est patiemment construite et est loin d’être achevée. Côté perspectives et défis à relever, nous constaterons, plus que jamais, que la lecture des théories traditionnelles n’est pas suffisante. Malgré tout l’intérêt analytique des hypothèses de neutralité de la monnaie, de théorie quantitative ou d’hypothèse des marchés efficients, le chercheur, le praticien et le citoyen devront toujours se tourner vers l’anthropologie, la géographie, la politique ou l’histoire pour comprendre les dynamiques économiques du monde.

Autres parutions :
M.Aglietta : « Régulation et crise du capitalisme », Calman/Lévy, 1976. M.Aglietta : « Macroéconomie financière », Repères/La découverte, 1995. M.Aglietta, Brender Anton et Coudert Virginie : « Globalisation financière : l’aventure obligée », Economica/Cepii, 1990.